Bail à ferme : 5 ans de négociations pour changer 50 ans d’abus

Dernière mise à jour le 7 Jan. 2020

Grâce à la détermination de NTF – porte-parole des propriétaires de terres agricoles, forêts et espaces naturels en Wallonie – la réforme sur le bail à ferme a été votée ce 30 avril, un premier pas dans la bonne direction pour les bailleurs !

Champ colzas

Le Parlement de Wallonie vient d’adopter le décret modifiant la loi sur le bail à ferme. Ce dossier était en cours de réforme depuis près de 5 ans. En effet, depuis la régionalisation de cette matière, NTF s’était adressée au pouvoir politique pour obtenir une modification de la loi qui aille vers un rééquilibrage des droits et devoirs entre bailleurs et preneurs. 

Le constat était alarmant : un bail trop en défaveur des bailleurs a pour effet de les faire fuir, au détriment des jeunes agriculteurs en recherche de terres à louer. Or, plus de 70% des terres agricoles sont exploitées sous forme de location, faute de pouvoir les acheter à des prix accessibles. Plus de 200.000 ménages sont propriétaires de terres agricoles, la moyenne de la propriété étant de 2 ha. Au terme de 5 années de discussions difficiles et de plusieurs rebondissements mettant à mal le projet, le décret enfin voté est pour NTF une première étape dans le processus de remotivation des bailleurs.

Sortir de la perpétuité : oui, mais ...

Revendication principale de NTF, la fin de la perpétuité est une avancée majeure du texte et est peut-être même un moment important dans l’Histoire agricole belge. De la mentalité « La terre nous appartient » issue des révoltes agraires des années 20, les locataires devront prendre conscience que « Tôt ou tard, il faudra rendre la terre ». Mais, le choix de déterminer la durée du bail à ferme à 4 périodes de 9 ans (soit 36 ans) est un point qui est resté jusqu’au bout non négociable de la part des représentants syndicaux. NTF le regrette et prévient : la durée déterminée reste trop longue et suffira à ne pas convaincre les propriétaires libres de bail de revenir vers le bail à ferme, plutôt que de choisir d’autres modes de gestion de leur terre.

Et, le maintien de la cession privilégiée vient aggraver ce sentiment qu’on n’est pas vraiment sorti de la perpétuité puisque le père preneur pourra toujours transmettre son bail à ses descendants sans l’accord du bailleur. 4 balises sont toutefois insérées pour éviter les abus : désormais,

-          le bailleur doit être informé de la cession,

-          le repreneur doit avoir une formation agricole ou une expérience équivalente,

-          le bailleur peut dans certains cas faire annuler la cession, ce qui n’était pas possible avant,

-          en cas d’intention de vendre du bailleur, la cession privilégiée est suspendue temporairement.

On peut espérer que ces nouvelles mesures permettront de garantir le transfert de l’outil agricole vers une génération qualifiée de vrais agriculteurs. Sans oublier le fait que de moins en moins de fermes sont reprises par les enfants, ce qui devrait entraîner la fin de nombreux baux.

Redonner confiance aux bailleurs

Nous nous félicitons d’avoir obtenu la correction d’un nombre important de déséquilibres dans la loi, permettant des abus de la part des preneurs. Pas moins de 8 mesures anti-abus vont venir changer sensiblement la vie contractuelle des baux.

  • Le bail devra être écrit,
  • Un état des lieux permettra de constater le bon état des terres, des clôtures et des arbres/haies, etc…,
  • En cas de congé donné par le bailleur au locataire pensionné : le preneur ne pourra s’opposer au préavis que s’il désigne un repreneur « certain » et que ce dernier exploitera lui-même les terres louées dans les 3 ans,
  • Lorsque le preneur a atteint l’âge de la pension, il n’aura plus le droit de préemption en cas de vente,
  • Le bailleur pourra mettre fin au bail pour vendre 10% ou 2ha de sa terre (selon des conditions),
  • Le bailleur pourra faire annuler le bail par le Juge de Paix en cas de sous-location ou de cession non autorisées,
  • Le preneur devra notifier au bailleur ses échanges,
  • Le bailleur ne devra plus faire valider son congé devant le Juge de Paix, le preneur devra directement contester lui-même le congé devant le Juge de Paix s’il n’est pas d’accord avec le motif.

Privilégier les baux de longue durée

Les baux de longue durée (18, 21, 24, 25, 27 ans et bail de carrière) préservent le preneur d’un préavis tandis qu’ils offrent un fermage majoré pour le bailleur qui s’engage donc à ne pas licencier le preneur. Le décret revoit à la hausse les avantages fiscaux. Mais, il fallait aussi motiver les preneurs à préférer ce type de baux plutôt que de se complaire dans un bail « low cost » trop confortable, NTF a dès lors obtenu que la 3me et 4me période du nouveau bail de droit commun feront l’objet d’une majoration automatique des fermages de 20 et 35%. 

Ce qui n’a pas été retenu

Outre une durée plus raisonnable et une cession privilégiée plus limitative, NTF avait entre autres demandé de prévoir les mêmes conditions d’exploitation personnelle pour le bailleur donnant congé à un preneur agriculteur à titre principal que pour la cession du bail aux descendants du preneur. On pourrait soulever une discrimination… mais, une amélioration de la vie contractuelle des baux devrait diminuer le nombre de préavis échoués pour exploitation personnelle, quasi seule porte de sortie d’un bail pour un bailleur.

A partir de quand ces nouveautés seront-elles applicables ?

Le décret entrera en vigueur le 1er janvier 2020. Un délai de 5 ans est prévu pour permettre aux parties de répondre à l’obligation d’avoir un bail écrit, ce qui fera basculer le bail dans la nouvelle législation. Comment inciter bailleur et preneur à passer par l’écrit ? S’ils ne font rien, NTF a obtenu que les baux existants non écrits seront considérés comme commençant une troisième période. Autrement dit, il ne le restera qu’une durée de 18 ans alors que si les parties signent un écrit, la durée sera de 36 ans…

Au total, après plus de 50 ans d’une législation trop en faveur des locataires, près de 20 modifications de la loi sur le bail à ferme viennent d’être prises en faveur des bailleurs.

L’obligation de dire ce qu’on fait des terres louées, le contrôle des cessions de bail, la correction des abus permettant de garder ad vitam le bail, la possibilité de mettre fin au bail lorsque le preneur a atteint l’âge de la pension sans repreneur, la majoration du fermage du bail de droit commun, l’incitation à procéder à un bail écrit et le fait qu’il appartient désormais au locataire de contester un préavis donné par le bailleur sont autant de mesures mises en place pour corriger les comportements abusifs que les preneurs avaient adopté grâce à une loi trop laxiste.

Une évaluation de l’efficacité du décret sera nécessaire, notamment via l’Observatoire foncier, de telle sorte que l’on pourra continuer la réforme dans ce sens.

 

Séverine Van Waeyenberge, Secrétaire générale